Monsieur le Président,
Majesté,
Monsieur le Maire,
Mesdames, Messieurs,
I
Il y a trois ans, c'est vous-màªme, Monsieur le Président, qui avez prononcé le discours en l'honneur du lauréat du Prix international Charlemagne. Ce discours avait pour thème l'argent car, en 2002, le Prix avait été décerné à l'euro, notre monnaie européenne commune. Aucune autre personnalité n'était mieux qualifiée que vous pour traiter de ce sujet. Vous étiez ferme-ment convaincu que l'Union monétaire européenne était l'étape historique devant faire de l'intégration européenne un processus irréversible. Il n'a jamais fait de doute pour vous que l'appartenance à l'Union européenne n'est pas un cadeau mais le fruit d'un long travail. Chaque État membre doit se qualifier et se doter de la culture de stabilité nécessaire. Tel était votre principe. Vous vous àªtes investi personnellement pour que l'Italie satisfasse à cette exigence.
Monsieur le Président, vous appartenez à la génération dont la jeunesse a été emportée par les événements de la Seconde Guerre mondiale. à€ vos yeux, le fait de s'entretuer en Europe et de détruire la culture commune était une pure folie. C'est cette expérience de la guerre qui a forgé votre engagement en faveur d'une Europe pacifique et unie. Depuis plusieurs décennies, vous Å“uvrez en faveur de l'Europe et vous en défendez la cause, avec clarté, constance et per-sévérance. Vous incarnez donc parfaitement l'esprit et le travail qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ont fait de l'intégration européenne une histoire à succès sans pré-cédent.
Monsieur le Président, nous nous sommes rencontrés à Naples il y a quelques semaines et nous avons parlé de l'avenir de l'Europe. J'ai senti combien, animé d'un sentiment de respon-sabilité à l'égard de l'histoire, vous restez attaché à cette vision de l'Europe, à une vision qui va beaucoup plus loin qu'une union économique et monétaire et qui aspire à une unité plus profonde, basée sur des valeurs et sur une culture communes. Vous avez dit tout haut ce que j'ai toujours pensé.
Proche d'Alcide De Gasperi, le père fondateur italien de l'Europe unie, vous àªtes pour moi un exemple.
II
Emilio Colombo, autre lauréat italien du Prix international Charlemagne, a dit "Chaque fois que l'on réfléchit à l'état de la construction européenne, on a l'impression tout d'abord d'àªtre arrivé à un tournant."
Vingt-cinq ans se sont écoulés depuis, ce qui prouve que l'unification de l'Europe a toujours été une tà¢che difficile. Il y a souvent eu des crises et, la plupart du temps, nous en sommes sortis plus forts. Aujourd'hui, l'Europe se trouve de nouveau à un tournant décisif.
Monsieur le Président, vous étiez l'hà´te de la réunion qui s'est déroulée le 29 octobre 2004 à Rome, la ville de la création de la Communauté européenne, qui a vu le lancement du Traité établissant une constitution pour l'Europe. Vous avez dit à cette occasion: "C'est l'acte de naissance de l'union politique, un moment historique dans l'histoire de notre continent."
Pour le bien des hommes et des femmes en Europe, il faut maintenant que le traité constitu-tionnel entre en vigueur. Il consolide l'Europe en tant que communauté de valeurs, il renforce la démocratie européenne et donne davantage de droits au citoyen. Ce traité est nécessaire pour que les citoyens puissent se rendre compte des avantages que présente une Europe capable d'agir.
Nous sentons tous que le monde est en plein changement. Un nouvel ordre est en train de naà®tre. Dans ce processus, il faut que l'Europe, forte de son intéràªt bien compris, se mette en valeur. Je pense que le monde s'appauvrirait si l'Europe ne jouait pas un rà´le décisif dans ce processus.
Nous voulons que l'Europe joue un rà´le décisif car elle peut apporter une contribution pré-cieuse, en tant qu'ordre de paix et puissance économique, modèle de société et partenaire de sécurité, grà¢ce à ses racines culturelles et à sa conscience historique. Le moment est venu pré-cisément pour l'Europe d'exploiter pleinement son potentiel.
Cette exigence que nous formulons à notre propre égard n'est dirigée contre personne et sur-tout pas contre les États-Unis qui ont tant donné à l'Europe: la vie de nombre de leurs fils pendant la Seconde Guerre mondiale et, des décennies durant, leur engagement en faveur de la liberté, de la démocratie et des droits de l'homme. Je tiens beaucoup à le rappeler en ma qualité d'Allemand, à la veille de la commémoration du 8 mai 1945.
Les États-Unis et l'Europe se complètent et ils ne pourront relever les défis de l'ère nouvelle qu'en coopérant. Tel est également l'avis des États-Unis, comme l'a exprimé le Président Bush dernièrement lors de sa visite auprès des institutions européennes.
III
Regardons un peu ce qu'est devenue l'Europe au cours de ces dernières cinquante années. Nous avons parfois tendance à considérer que ce sont des choses toutes naturelles et nous ne savons plus très bien en apprécier la valeur. Mais au dehors, à l'extérieur de l'Europe, beau-coup nous admirent pour les résultats que nous avons obtenus. Partout o๠je me suis rendu au cours de ces dernières années de par le monde, les gens étaient impressionnés par le modèle européen:
- Nous sommes 25 nations et les frontières n'ont plus aucune importance.
- 450 millions d'hommes et de femmes vivent à l'intérieur d'un grand marché unique.
- Nous avons une monnaie forte valable dans douze pays déjà . Et tous les États membres peuvent accéder à l'Union monétaire.
- L'État de droit, le respect de la dignité humaine et la protection des droits de l'homme sont ancrés partout dans l'Union.
- Nous possédons une diversité de cultures, de langues et de philosophies qui est mer-veilleuse. Cette diversité fait notre grande richesse.
- Des schémas de pensée politiques et économiques sont nés au sein de l'Union euro-péenne qui suscitent l'intéràªt du monde entier.
IV
Nous avons tout lieu d'àªtre fiers de ce que nous avons réalisé en Europe. Je pense donc que c'est une erreur de minimiser les résultats ou de surestimer les problèmes. Mais il ne fait aucun doute non plus qu'un débat ouvert s'impose sur les faiblesses et sur les problèmes à résoudre en Europe, et qu'il est màªme extràªmement urgent.
Nous devons répondre aux questions critiques à propos de l'identité et de l'avenir de l'Union européenne. Pour cela, nous avons besoin désormais d'Européens convaincus et sachant convaincre, qui s'attachent à poursuivre l'Å“uvre de la construction européenne. Le président Ciampi est un Européen de cette envergure.
V
Ayant su tirer les enseignements de l'histoire, l'Europe est devenue un projet de réconciliation et de paix. Aujourd'hui, elle doit également faire ses preuves face aux nouveaux défis engen-drés par les changements politiques et économiques sur la scène mondiale. Nous devons àªtre conscients que de grands efforts s'imposent pour durabiliser le modèle économique et social européen doté d'une culture de l'équilibre social.
La stratégie de Lisbonne définit très bien les objectifs à remplir en faveur du travail et de la prospérité au sein de l'Union européenne. Il faut maintenant que ces décisions se traduisent par des mesures énergiques afin d'éviter que l'Europe ne continue à perdre de la vitesse en termes de compétitivité et afin que les objectifs politiques restent crédibles. Il est particu-lièrement important à mes yeux de faire progresser l'Europe dans le domaine de l'éducation ainsi que de la recherche et du développement.
Pour cela, il est possible et nécessaire de regrouper les forces qui existent au niveau commu-nautaire et qui résultent de la coopération entre les États membres. Le vol inaugural du nouvel airbus en apporte une preuve impressionnante. Mais pour que la réussite soit durable, chaque État membre doit résoudre lui-màªme ses problèmes et cela vaut également pour mon pays. C'est pourquoi les réformes qui s'imposent en Allemagne participent également de notre res-ponsabilité à l'égard de l'Europe. Nous nous sommes engagés dans cette voie.
VI
Un marché intérieur performant, telle est la réponse stratégique de l'Europe face à l'aggra-vation de la concurrence due à la mondialisation. Ce marché nous aide à faire valoir nos propres idées à propos d'une mondialisation à visage humain. C'est pourquoi, en dépit de toutes les difficultés actuelles, nous ne devrions pas perdre de vue les avantages qui résultent à long terme de la libre circulation au sein du grand marché unique. Mais il n'y a pas que l'intégration économique au sein du marché unique, il y a aussi la monnaie commune qui nous donne la force d'exploiter les avantages de la mondialisation et de limiter ses risques.
Avons-nous bien conscience de la contribution que l'euro a apportée à la stabilité de l'Europe? Je me souviens très bien des tensions qui ont marqué le système monétaire européen en 1992/93 et qui ont provoqué sa suspension. à€ l'époque, je m'étais moi-màªme rendu à Rome pour essayer de trouver une réponse avec le gouvernement italien et l'ancien président de la banque centrale, M. Ciampi. La crise monétaire engendrait de lourdes hypothèques au plan politique comme au plan humain. Le président Ciampi et moi-màªme en ont été témoins à l'époque lors de discussions difficiles. Et aujourd'hui? Aujourd'hui, les crises monétaires en Europe appartiennent au passé. Et l'euro contribue considérablement à la stabilité de tout le système économique mondial!
VII
L'année dernière, j'ai rencontré sur la place du marché de Tallinn, capitale de l'Estonie, des étudiants allemands, estoniens et polonais. Ils étaient pleins d'enthousiasme devant l'ouverture des frontières et devant les rencontres enrichissantes qu'ils faisaient dans une université étran-gère. L'Europe suscitait un sentiment de joie chez ces jeunes et j'y ai vu un signe d'encou-ragement pour l'avenir de l'Europe.
Mais je sais aussi que l'idée de l'Europe officielle suscite également chez bon nombre de per-sonnes des sentiments tout autres et notamment un sentiment de mécontentement au sujet du manque de transparence, de l'excès de réglementation et de la bureaucratie. Souvent, les gens ne savent pas comment fonctionne cette Europe. Et cela ne simplifie pas les choses.
Nous sommes tous appelés à redoubler d'efforts pour expliquer l'Europe aux citoyens. Cela commence d'abord par le langage. Trop souvent, les documents européens sont caractérisés par des compromis de formules et par un langage de technocrates. Je le sais trop bien pour en avoir fait personnellement l'expérience avec le traité de Maastricht. Il faut donc que la Com-mission et les gouvernements des États membres prennent davantage au sérieux la tà¢che qui consiste à informer le citoyen des décisions européennes de façon à ce qu'il puisse les com-prendre et en mesurer les conséquences. C'est la seule façon pour que la confiance grandisse en Europe chez ceux pour lesquels elle a été créée, c'est-à -dire chez les citoyens.
Et le citoyen n'aura confiance en l'Europe que lorsqu'il n'aura plus peur de voir une bureau-cratie anonyme agir sans faire de distinction. La commission et les conseils des ministres devraient avoir la sagesse de modérer leur ardeur à la réglementation. Il faut laisser les citoyens prendre eux-màªmes les décisions qu'ils sont capables de prendre de manière sensée dans leur commune, leur région et leur pays. Bruxelles ne doit s'occuper que des questions qui peuvent àªtre mieux réglées au niveau européen.
"Si nous n'arrivons pas à donner une à¢me à l'Europe, nous aurons perdu la partie", voilà ce qu'a dit Jacques Delors. Nous devrions prendre au sérieux cette mise en garde venant de la bouche d'un autre grand Européen. Je considère qu'il est grand temps de mener une discussion sur les éléments de l'identité européenne. Et je pense que nous avons besoin maintenant d'une phase de consolidation en politique européenne afin que les citoyens comprennent mieux ce qu'est l'Europe et comment elle doit évoluer à l'avenir.
VIII
Nous n'avons pas seulement besoin de jeter un regard critique en direction de Bruxelles mais aussi et surtout en direction des capitales des États membres. Je ne peux que mettre en garde et conseiller de ne pas compromettre les possibilités qu'offre une Europe capable d'agir en exploitant un avantage à court terme en fonction du débat politique intérieur dans les diffé-rents États membres. Et je me demande qu'en est-il de l'esprit de solidarité qui doit toujours tenir compte également de l'intéràªt de l'autre? Tous les États membres sont exposés à la tenta-tion d'agir essentiellement en fonction de leurs égoà¯smes nationaux. Monsieur le Président, vous avez raison de rappeler notamment aux grands États fondateurs qu'une responsabilité particulière leur incombe à l'égard de l'Europe.
Tous les États membres sont capables de développer des initiatives en faveur de l'Europe et ils sont appelés à le faire. L'expérience m'a appris que les petits États attendent souvent que les grands déclenchent de nouveaux développements. Mais, pour àªtre fructueuses, ces initiatives doivent servir également les intéràªts des autres États, des petits États et profiter ainsi à la communauté dans son ensemble. C'est le seul moyen de garantir leur succès à long terme. L'Europe ne peut réussir que si tous les États membres sentent que leur destin est entre de bonnes mains. Souvent, c'est le ton qui fait la chanson. Il faut conduire les affaires en ne per-dant pas de vue le système dans son ensemble. Il y a déjà eu de nombreux exemples positifs et nous connaissons tous l'énergie que peut générer par exemple la coopération franco-alle-mande.
IX
Ces prochaines années, l'Union européenne devra s'atteler en priorité à définir une politique étrangère commune. Ce travail, nous devons le poursuivre avec détermination. L'Europe verra son rà´le renforcé de manière durable si elle arrive à parler d'une màªme voix et cela servira son propre intéràªt dans la perspective d'un nouvel ordre mondial porteur d'avenir.
Des premiers pas ont déjà été faits qui nous permettent d'àªtre optimistes. L'Europe a contribué à trouver une solution pacifique et démocratique à la crise en Ukraine. Je suis heureux de constater que, suite à ces efforts, l'adhésion à une politique étrangère européenne a grandi, tout particulièrement en Pologne, ce pays remarquable pour son engagement.
Mais je pense qu'il y a encore de nombreuses questions à résoudre pour lesquelles l'Europe est appelée à définir une position commune. Je pense aux problèmes qui persistent dans les Balkans ou à l'ONU. Mais la lutte contre la pauvreté dans le monde en fait partie également.
X
Alcide De Gasperi a dit à Aix-la-Chapelle en 1952: "L'optimisme est une force constructive lorsqu'il s'agit de réaliser un grand idéal politique et humain tel l'unification de l'Europe."
Cet optimisme caractérise également notre lauréat d'aujourd'hui, le Président italien M. Carlo Azeglio Ciampi. Infatigable, il continue de porter le flambeau européen. Carlo Azeglio Ciampi est un grand Européen. Puisse sa pensée porter des fruits dans l'Europe de l'avenir. Nous en bénéficierons tous. Nous lui devons à la fois nos remerciements et notre recon-naissance.